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Dans son livre, sur la parodie publié aux Editions Hachette en 1995, Daniel Sangsue la définit comme : la « transformation ludique, comique ou satirique d’un texte singulier ». Une telle définition a le mérite d’être fidèle à toute une tradition liant la parodie au comique, ou aux théories plus récentes (cf. Bakhtine) qui l’assimile à une satire. En ce sens, la parodie apparaît comme « un acte d’opposition littéraire », « une opération de sape » pour reprendre l’expression d’Abastado. On pense à Don Quichotte jugé par la critique comme la parodie du roman chevaleresque, ou à Madame Bovary qui s’apparente à une satire du roman rose.
Fustigeant les procédés éculés du discours romanesque, la parodie devient ainsi un facteur essentiel de l’évolution littéraire. Cette vertu parodique pénètre véritablement le dernier roman de Kossi Efoui, une énorme parodie de récits de voyages, de reportages, etc. En mettant en scène deux étudiants africains, Edgar Fall et Urbain Mango, partis en éclair pour le compte de « Périple Magazine » repérer ce que Efoui appelle une bourse aux frissons, l’auteur de La Polka fait d’une pierre deux coups. Dans un premier temps , il instruit le procès des récits de voyages – un procès insidieux, au sens où ces voyages ont lieu dans une Afrique inexistante (ou du moins qui n’existe plus à l’instar de l’Union soviétique), une Afrique inventée par la bibliothèque coloniale selon la formule de V. Y Mudimbe. Lu sous cet angle, La fabrique de Cérémonies cesse d’être simplement une parodie de récits de voyages et s’apparente en une véritable farce littéraire.
Le deuxième procès dans ce roman vise l’auto-exotisme, les deux journalistes africains étant eux-mêmes les vendeurs de ces voyages en enfer. On a donc ici sous certains aspects la satire d’un journalisme superficiel et le livre ouvre un débat subtil opposant le journalisme à la littérature, entre un journalisme qui banalise le sens et un roman qui le pense et déconstruit les poncifs. On pense irrésistiblement aux Illusions perdues de Balzac, centré sur l’opposition littérature / journalisme. On pense aussi à la dérision exercée à l’encontre des journalistes humanitaires dans le dernier roman de Tierno Monénembo, l’Aîné des orphelins.
Usant ingénieusement du détour et du dédoublement pour évoquer les violences contemporaines au Togo, La fabrique des cérémonies excelle dans l’art du dialogue ; on sent à quel point l’expérience de l’écriture théâtrale a servi le romancier. Mais à la maîtrise des dialogues répond aussi la musicalité de l’écriture – une écriture qui tend hélas souvent à devenir sa propre fin au détriment de la construction narrative. Et du coup, le roman s’enlise dans un monologue débouchant à son tour sur une allégorie se jouant dans les têtes des personnages. Sans épaisseur, sans âme, les personnages de Kossi Efoui ne sont ici que des êtres en papier pour reprendre l’expression de Roland Barthes, ce qui ne rend pas aisé la lecture de ce livre. De même, le lecteur pourrait ressentir une certaine frustration en découvrant le hiatus entre l’effet d’annonce de la prière d’insérer faisant d’Edgar Fall un ancien étudiant en Union soviétique, traducteur en russe de romans-photos pornos, rêvant de terminer Le Nègre de Pierre le Grand, et l’absence totale de clins d’œils à la Russie, ne serait ce qu’un jeu intertextuel à la Pouchkine, qui aurait sans doute enrichi ce roman. Mais peut-être doit-on interpréter cette absence comme un pied de nez de l’auteur au lecteur ? Ce qui, quelque part, renforce la farce…

La Fabrique de cérémonies, de Kossi Efoui, Seuil, Paris, 2001///Article N° : 1979