Avec Une magie ordinaire, Kossi Efoui signe son roman le plus autobiographique, mêlé de réflexions sur la littérature, sur son parcours de vie jalonné de violence, mais également sur son rapport à son pays, le Togo – du moins celui de ses parents. Une magie ordinaire est la fabrique d’une pièce d’identité, non pas celle d’ordre administratif, mais celle qui dessine le tableau d’une vie, complexe et chahutée.
« La réalité est que je suis né en Côte d’Ivoire, dans un village de pêcheurs disparu depuis. Anfoin, c’est le nom d’une petite ville dans le Sud du Togo où mes parents ont trouvé refuge provisoire en rentrant de Côte d’Ivoire avec le bébé que j’étais, un bébé déclaré nulle part. »
En faisant passer auprès du public qu’il est né dans le golfe de Guinée, il s’agit alors pour lui de réparer une anomalie, un mensonge administratif, identitaire, et, on pourrait ajouter, politique, dans la mesure où il considère le Togo comme une fiction, un pays dont les frontières actuelles résulteraient du découpage de l’Afrique au cours de la conférence de Berlin.
Un roman carte d’identité
De ce point de vue, on peut dire d’Une magie ordinaire qu’il est un roman permettant à son auteur de se fabriquer une pièce d’identité, non pas une de celles qu’on se confectionne habituellement dans les administrations publiques, affichant seulement les informations les plus importantes, mais une de celles, plutôt taillées sur mesure, qui se charge et s’enrichit, à mesure que le temps passe, de nos espoirs et de nos désespoirs, de nos envies et de nos passions, de nos succès et de nos déboires, de nos joies et de nos peines, etc… Ainsi cela donne-t-il le tableau d’une vie, complexe et chahutée, comme celui que nous tend ici Kossi Efoui : le sien. On le regarde, alors, se livrer sur des périodes de son enfance, de sa jeunesse, lâcher des anecdotes sur ses premiers pas dans la littérature, sur l’élève qu’il fut dans ses années au lycée, sur son surnom « d’enfant aux os chétifs », qui lui fut donné par son père et d’autres gens du voisinage, au motif que sa mère le « gâtait » en le portant encore au dos, alors que tous ses copains du même âge marchaient déjà avec leurs deux jambes. Cela s’apparente à une sorte d’étalage de soi, à l’adresse de ses lecteurs évidemment, mais plus certainement à celle de ses enfants, dont les nombreuses interrogations trouvent là leurs réponses. Notamment : Pourquoi leur père n’est plus retourné au Togo depuis son arrivée en France ? Qui sont ses parents à lui ? Quel type d’enfant fut-il ? Pourquoi son goût des parures et des bijoux ? Et pourquoi se ressasse-t-il qu’il ressemble de plus en plus à sa mère en vieillissant ?
Écrire pour se sauver la vie
Outre de se laisser aller à cet exercice qui convoque la mémoire, Kossi Efoui profite de quelques lignes pour distiller ses réflexions sur son rapport à la littérature, à la langue comme outil, à la politique et ce qu’elle nous apprend du traitement des malades dans les hôpitaux de pays comme le Togo.
A le lire, on sent quelque chose d’organique dans son rapport à la littérature : écrire pour lui avant tout est une affaire de vie ou de mort. Il rappelle d’ailleurs à juste titre que c’est grâce à sa première pièce de théâtre, intitulée Le Carrefour, couronnée en 1990 par le Concours théâtral interafricain, qu’il put échapper à ceux qui voulaient attenter à sa vie.
« Je n’ai jamais séparé la poésie du gri-gri. Je n’ai jamais séparé l’écriture de la poésie. Je n’ai jamais séparé la poésie du chant. Je n’ai jamais séparé le chant de l’incantation. Je n’ai jamais séparé l’écriture de l’exorcisme. »
D’où la qualité « magique » qu’il lui prête. Si l’on s’en tient là, d’évidence, on serait tenté de dire de sa vision des choses qu’elle est très enchantée. Or, loin de là, il se montre très lucide, en montrant l’envers du décor, les dérives pouvant advenir, surtout quand la langue devient un moyen de satisfaire à des fins peu honorables, comme la violence, la domination de l’autre.
« Le français colonial n’est pas la langue de Baudelaire, pas plus que l’allemand du nazisme n’est la langue de Goethe. Il n’y a pas pas de langue de la violence. La violence parle toutes les langues. Mais la poésie aussi ! »
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